L'ÈRE DU REECHANTEMENT
Une étude de l'architecture réelle dans le cinéma de la science fiction
« La Terre est la planète extraterrestre aujourd’hui » -William Gibson
Introduction
C’est en janvier 1926 que le terme « science
fiction » apparait pour la première fois dans les colonnes du magazine
américain Amazing Stories, éditée par
Hugo Gernsback (fig. 1). Durant les
cinq années suivantes, le terme gagnera en popularité pour décrire un nouveau
genre émergent dans la littérature « Pulp », traduit
« populaire », en Amérique du Nord. Celui-ci se caractérise par des
récits narratifs structurés par des hypothèses sur ce que pourrait être le
futur ou ce qu’aurait pu être le présent, voire le passé.
Cependant, Gernsback ne fait que redécouvrir un genre
existant depuis 1516, moment de l’apparition de Utopia de Thomas Moore. Herbert George Wells et Jules Verne sont
les auteurs qui vont lui attribuer le format moderne que nous connaissons
aujourd’hui.
Le genre gravite autour des questions essentielles
ontologiques du réel et le simulé, le familier et l’étrange, l’homme et la
machine, le passé et le futur, la Terre comme berceau de l’humanité et l’exploration
spatiale, pour n’en mentionner que quelques uns.
Dans l’histoire moderne de la science-fiction, nous
remarquons que le XXème siècle est structuré par deux âges d’or.
Le premier, essentiellement réservé à la littérature,
avec quelques exceptions cinématographiques, se développe entre 1938 et 1946,
et il marque une période d’attention publique étonnante vis à vis du genre.
Cela s’explique par le contexte historique bouleversante de la Seconde Guerre
Mondiale qui met en crise le futur de l’humanité. De plus, cette épopée surgit
d’un rejet de la littérature « Pulp » de Gernsback du début du
siècle, en faveur d’un sous-genre plus ancré dans la réalité : la
« hard science fiction ». Celui-ci prend appui sur la réalité technologique,
sociétale, politique et économique de l’époque.
Le deuxième âge d’or du genre date des années 1977-1987,
période qui marque l’arrivée des Block Buster Américains produits par des
réalisateurs iconiques tels que George Lucas, Steven Spielberg et Ridley Scott.
Ce deuxième âge d’Or est plus lié au monde du cinéma qu’à la littérature. De
nouveau, les œuvres reviennent vers le genre de la « hard science
fiction », en s’ancrant dans la réalité politique.
Cela s’explique par les effets conséquents de la Guerre
Froide sur la société occidentale. Les tensions quasi théâtrales entre l’Union
Soviétique et les Nations Alliées ont permis aux auteurs occidentaux du genre
de caricaturer le « vilain russe », de profiter des avancées
technologiques dans l’armement et dans l’exploration spatiale, et de projeter
leurs visions d’un futur incertain et effrayant.
Pour comprendre l’effet de la « hard science fiction »
dans une société en mouvement perpétuel, il est nécessaire de retourner à la
définition du genre. L’origine étymologique du terme est une combinaison
paradoxale du latin « scientia », la connaissance et « fictio »,
imaginer. La science-fiction renvoie donc
simultanément à une méthode d’observation rationnelle du monde et à la
construction purement imaginaire. C’est Thierry Paquot qui nous rappelle que la
science précède la fiction dans la « hard science fiction » :
« Ainsi c’est bien une réflexion rationnelle sur le présent qui fonde la construction imaginaire ».
Dans le cinéma de la science fiction, le réalisme peut
être atteint d’une manière superficielle en insérant des objets familiers dans
les environnements du film, tels qu’une voiture particulière ou encore des
habits quotidiens. Cependant, certains œuvres des années 1970, 1980 nous
montrent la puissance d’ancrer l’environnement futuriste dans une réalité
construite existante. Autrefois méprisé pour son utilisation de décors peints, nous
pouvons remarquer que le cinéma de la science fiction post 1970 s’installe
progressivement dans l’architecture réelle pour acquérir une nouvelle crédibilité
par son réalisme.
Nous chercherons à comprendre comment les réalisateurs du
cinéma de la science fiction, post années 1970, utilisent l’architecture réelle
afin de projeter le spectateur dans un monde et/ ou un temps alterné.
L’étude se fera à travers une analyse de cinq film :
Alphaville de Jean Luc Godard, 1965 (fig. 2), Blade Runner de Ridley Scott, 1987 (fig. 3), Matrix des
frères Wachowski, 1999 (fig. 4), Code 46 de Michael Winterbottom, 2003 (fig. 5) et Le Fils de l’Homme de Alfonso Cuaron, 2006 (fig. 6).
L’étude des techniques des cinq films va nous permettre de
comprendre comment et pourquoi le spectateur perçoit le monde futur, passé ou
alterné dans la réalité du présent.
Le choix des films a été déterminé par une volonté de
montrer l’évolution du cinéma depuis les années 1970 et donc de sélectionner
des œuvres représentatives qui possèdent des techniques diverses ou similaires
dans l’utilisation de l’architecture réelle. Nous voulons aussi préciser que les
films supplémentaires qui s’incluent dans le champ d’investigation sont
essentiellement issus de l’industrie cinématographique occidentale, britannique
et américaine.
Nous allons tout d’abord mettre en perspective les
raisons historiques, politiques et environnementales qui sont à l’origine de
l’avènement du deuxième âge d’or de la science fiction, et par conséquence du
début du mouvement de retour à la terre que nous appelons « Ère du
Réenchantement », terme inspiré par le travail du sociologue Allemand Max
Weber. Ensuite nous étudierons les différentes notions impliquées par un film
de science fiction, basé dans la réalité, à travers les exemples des cinq films
mentionnées ci dessus. Le rapport se terminera par une réflexion sur ce retour
à la Terre et ses conséquences sur l‘architecture contemporaine.
I. La situation globale pendant les
années 1970
1) La guerre Froide et la Science Fiction (SF)
La guerre froide est le facteur fondamental dans le
développement du deuxième âge d’Or de la science fiction, période qui marque le
début du mouvement de retour vers la Terre que l’on cherche à étudier. En
effet, après la victoire des Alliés en Europe à Berlin le 4 mai 1945, des
tensions profondes entre l’Union Soviétique et les autres vainqueurs refont
surface. Cette confrontation avaient déjà été prédite par Alexis de Toqueville
au XIXème siècle et se manifeste sur un plan idéologique, économique, et
militaire : le libéralisme et la démocratie contre le communisme. Au cours
des années qui suivent, ces tensions se transforment en concurrence majoritairement
militaire entre les deux superpuissances que sont l’URSS et des Etats Unis. La
conquête de l’espace, le développement d’un arsenal nucléaire et l’extension de
l’aire d’influence sont parmi les objectifs des deux pouvoirs, qui ne vont
jamais rentrer en conflit direct, d’où la notion de guerre « froide ».
Certains pensent même que l’Affaire de Roswell (fig. 7), au Nouveau Mexique en 1947,
est conspiration militaire s’inscrivant dans une stratégie politique plus
large, qui vise à faire croire aux Soviétiques que le gouvernement américain
est rentré en contact avec une espèce extraterrestre. On peut supposer que des
craintes d’échanges technologiques se mettent en place.
La production d’armes nucléaires prend le nom de
« l’Equilibre de la Terreur » ou la « Destruction Mutuelle
Assurée » (fig. 8) et devient
une stratégie militaire de dissuasion. La crise des missiles de Cuba, entre le
14 et le 28 octobre 1962, marque le point culminant des évènements qui ont
amenés l’humanité dangereusement près de sa destruction. Suite à cette
confrontation potentiellement désastreuse, la Guerre Froide prend un virage
majeur dans le sens du rapprochement entre l’Union Soviétique et les Etats
Unis. Cette forme de détente ne connaît qu’une courte vie car le soutien
militaire des Etats Unis en 1964 dans la guerre du Vietnam (1959-1975) ainsi
que l’invasion de l’Afghanistan en 1979 jusqu’en 1989 par l’Union Soviétique, marquent
les grands moments de confrontation indirecte continue entre les deux
superpuissances. Nous ne pouvons sous estimer l’impact de la Guerre Froide sur
la science fiction, car ses auteurs vont s’inspirer des évènements de l’époque
pour ancrer leurs œuvres dans une réalité connue et effrayante. En effet, comme
nous l’avions mentionné dans l’introduction, la URSS est devenue le vilain
préféré des auteurs de science fiction du bloc occidental pendant la Guerre
Froide. Nous observons entre 1946 et 1950 que 45.5% des vilains représentés
dans l’industrie cinématographique d’Hollywood sont d’origine ou d’affiliation
russe. De plus, les avancées technologiques dans l’industrie de l’exploration
spatiale et de l’armement deviennent une source d’inspiration colossale pour
les réalisateurs et les auteurs. Il
ne suffit de mentionner l’exemple emblématique de la saga
Star Wars de George Lucas, qui tire
son nom d’un projet de système de défense anti nucléaire qui devait être situé
dans l’espace, développé sous le mandat de Ronald Reagan.
Cependant, d’une manière plus globale, c’est la
confrontation idéologique entre l’URSS et les Etats Unis qui intéresse les
auteurs et les réalisateurs de la Science Fiction. En effet, chaque
superpuissance voit dans leur adversaire respective une incarnation d’un futur
effrayant, une vision dystopique de demain. L’exploration des évènements de la
guerre froide crée un laboratoire pour les auteurs du genre et va les permettre
d’étudier les différents destins de l’humanité. Pour cela, certains styles
architecturaux sont favorisés afin de communiquer visuellement l’impact de tel
ou tel système politique.
De plus, nous remarquons que la fin de la Guerre Froide a
un impact encore plus important sur le genre. En effet, Francis Fukuyama voit
là « la fin de l’histoire » :
l’état dans lequel le monde se trouvait en 1980 ne pouvait plus être bousculé
ni par des grands changements sociaux, ni par de plans utopiques, ni par des
idéologies économiques ou foncières. Il n’y allait pas y avoir d’alternative au
libéralisme économique et politique du XVIII siècle. Face à ce futur qui s’annonce monotone en
terme d’absence de confrontation idéologique, les auteurs et réalisateurs
s’intéressent aux problèmes liés au développement urbain, au surpeuplement et
aux mouvements humains. L’intérêt dans l’utopisme social qui avait été réveillé
suite au Krach Bousier de 1929 a disparu dans les années 1940-1950 à cause du Maccarthisme
aux Etats Unis, un désenchantement avec le gouvernement Labour en Grande
Bretagne et les craintes et la suspicion amenées par la guerre froide. Cet
intérêt renaît sous forme de contre-utopie notamment explorée par la revue
Archigram dans la culture post Guerre Froide.
2)
Le développement de la pensée écologiste
D’une manière
ironique, les avancées technologiques liées à l’exploration spatiale, qui n’est
qu’une forme de domination militaire, entrainent un développement de la pensée
écologiste. En effet, les premières images en couleurs prise par Neil Armstrong
le 20 Juillet 1969, lors de son atterrissage sur la Lune, ont montrées l’aspect
solitaire de la planète Terre dans l’obscurité de l’espace (fig. 9).
Selon ses propres mots,
«Tout d'un coup, j'ai réalisé que ce minuscule
petit pois, bleu et joli, était la Terre. Avec mon pouce, je me suis caché un
oeil, et mon pouce a effacé la Terre. Loin de me croire un géant, je me suis
senti petit ».
L’homme a d’abord été étonné de voir les dimensions
minuscules de sa planète, ainsi que la faible épaisseur de l’atmosphère qui la
maintiennent en vie. Dans tout cela, il y a une reconnaissance de l’importance
du développement durable pour la persistance de l’espèce humaine sur la
planète. Ce n’est donc pas inintéressant de noter que « Greenpeace »,
l’organisation non-gouvernementale internationale de la protection de
l’environnement, est fondée en 1971 à Vancouver par Irving Stowe et Jim Bohlen (fig. 10).
En plus de cela, il est essentiel d’incorporer le
mouvement « Hippy », né en 1967, qui se définit tout d’abord comme un
mouvement contre la guerre au Vietnam, mais qui va évoluer pour s’inscrire dans
le même logique écologique.
L’intérêt dans l’écologie est aussi profondément marqué
par la crise pétrolière qui débute en 1971et dont les effets se ressentiront
jusqu’en 1978 (fig. 11). En effet, la
crise énergétique a révélé la fragilité
de l’environnement dont l’homme a exploité les ressources sans prendre
conscience de leur quantité finie ni des conséquences de ses actions. Ce moment
nous révèle l’importance de maintenir en équilibre les écosystèmes de la Terre
et de retrouver un développement réellement durable.
Les difficultés des conditions de vie dans l’espace
constituent un autre facteur qui pousse l’homme à reconsidérer sa place sur la
Terre. Il est intéressant de remarquer que la définition étymologique de
l’écologie dérive du grec « oikos », la maison et « logos », la science, l’étude. Il
s’agit donc d’une science qui étudie la planète comme maison de l’humanité. L’ancienne interprétation romantique de la vie
dans l’espace est entièrement repensée lors des missions animales et humaines
en orbite et vers la Lune. L’absence de gravité à bord des vaisseaux spatiaux
apporte des modifications fondamentales sur la physionomie humaine, telles
qu’une circulation sanguine et fluide poussée vers, la décalcification des os.
L’évolution du corps humain a été possible dans des conditions
environnementales et physiques très spécifiques à la Terre. Or, lorsque le
corps humain est placé dans l’environnement claustrophobe d’une capsule, puis
propulsé dans l’espace, toutes les conditions vitales sont à reproduire
artificiellement. D’une manière ironique, l’astronaute dans l’espace apprend ce
que signifie être humain sur la Terre.
Il ne suffit que de lire la première phrase du livre Packing for Mars (Au départ pour Mars*), de l’auteure américaine Mary Roach, pour
comprendre la vie humaine à l’extérieur du confort de notre planète:
« Nous n’avons pas notre place dans l’espace ». Grâce
à des entretiens avec le personnel scientifique et administratif des agences
gouvernementales des programmes spatiaux du Japon (JAXA), de la Russie (FKA) et
des Etats Unis (NASA), l’auteure interroge tous les aspects de la vie dans l’espace. Elle
étudie la vie quotidienne des astronautes, le fait de manger, de se laver, de dormir,
d’uriner, de faire l’amour, afin de communiquer la difficulté de ces simples
gestes dans cet environnement étrange, inhospitalier et
vide (fig. 12 et 13). En effet, la
vie sur la Terre n’est rendu possible que par une succession de conditions
climatiques et biologiques très spécifiques, précises et rares dans le contexte
de l’univers. Nos corps se sont adaptés à cet environnement et ont évolués à
l’intérieur de celui ci depuis plusieurs millions d’années.
Cependant, lorsque le corps humain est propulsé dans un
environnement sans gravité et donc sans atmosphère ni eau, où la température
moyenne varie entre -270.4°C et 230°C et
qui présente des taux de radiations dangereuses et où s’envolent des micro
astéroïdes et des débris à une vitesse moyenne de 36 000 km/h, tous les aspects
de la vie doivent être repensés.
Dans son livre Mary Roach nous cite une phrase du
psychiatre spatial Eugene Brody en 1959, pendant une conférence de NASA :
« La séparation de la Terre, avec toutes les valeurs symboliques qu’elle
représente pour l’homme, pourrait, en théorie, produire quelque chose similaire
à la panique de la schizophrénie».
Aujourd’hui, nous connaissons ce phénomène psychologique comme l’effet
« la Terre hors de vue ». En effet, en plus des conditions environnementales
extrêmes dans l’espace et sur d’autres planètes qui ne possèdent pas
d’atmosphère, s’ajoutent des questions psychologiques. Il est intéressant de
noter que l’homme cherche constamment et désespérément à voyager dans les
environnements les moins adaptés à sa survie, dans la recherche de l’inconnu.
Le coût exponentiel des missions spatiales ainsi que la
fin de la Guerre Froide ont pour conséquence la diminution progressive des
investissements dans l’industrie spatiale internationale. En effet, le
pourcentage d’investissement dans la National Aeronautics and Space
Administration (NASA) en fonction des dépenses fédérales passe de 4.5% en 1966
à 0.5 % en 2007. Il semble, à travers cet exemple, que l’homme prend conscience
de sa situation précaire sur la Terre et décide de détourner momentanément son
attention des étoiles.
3) les Blockbusters américains de la Science Fiction
Le terme cinématographique « BlockBuster »
trouve son origine dans le vocabulaire militaire pour décrire la bombe la plus
puissante utilisée par les armées de l’Air américaine et anglaise vers la fin
de la Seconde Guerre Mondiale. Dans le monde du cinéma, le terme qualifie un
film à gros budget et à gros revenu, qui met en œuvre une production
exceptionnelle sur le plan matériel et humain. De manière ironique,
« L’ère des Blockbusters » débute avec la saga de science fiction Star Wars de George Lucas, et va
entrainer une remise en question du statut du genre, auparavant sous évaluée,
dans le monde du cinéma et dans l’esprit du publique. L’arrivée des
« Blockbusters » conduit notamment au commencement du marketing
cinématographique et des produits dérivés.
Nous remarquons que les « Blockbusters »
américains viennent se superposer aux évènements de la Guerre Froide et les
crises écologiques afin d’en faire ressortir les enjeux politiques, économiques
et idéologiques du futur de l’humanité.
Comme nous l’avions mentionné dans l’introduction, le
deuxième âge d’Or de la Science Fiction commence en 1977 et dure jusqu’en 1987
et va produire des œuvres cinématographiques telles que Star Wars Episode IV, un nouvel espoir (fig.14) de George Lucas et Rencontre
du Troisième Type (fig.15) de
Steven Spielberg en 1977 ainsi que Blade
Runner de Ridley Scott en 1987. Malgré la chronologie rigide du deuxième
âge d’or, un nombre important de critiques voit l’œuvre 2001 Odyssée de L’espace (fig.16)
de Stanley Kurbick, sorti en 1968, comme faisant parti de cet âge d’or. Il est
évident que nous ne pouvons sous estimer les contributions de l’œuvre en terme
d’effets spéciaux et de l’originalité des plans pour en mentionner quelques
uns.
Le succès phénoménal des films de la science fiction de
Steven Spielberg, de George Lucas, de Ridley Scott et de James Cameron dans les
décennies 70-80, élève le statut du genre pour rentrer dans les rangs populaires.
Il est important de noter que le cinéma de la science fiction avant les années
1970 était confiné par de faibles budgets à part quelques œuvres isolées comme Metropolis de Fritz Lang sorti en 1926
et 2001 Odyssée de L’espace de
Kubrick. Le cinéma et la littérature « pulp » des années 1930-1960
constituent un moment d’errance sur d’autres planètes, qui permet à des gens
ordinaire de se divertir en regardant des monstres extraterrestres grotesques,
des fusées de formes improbables atterrir sur des planètes encore plus
improbables. Le cinéma « pulp » se résume donc à une forme de
divertissement simpliste. Mais, l’arrivée d’œuvres plus matures, au cours du deuxième
âge d’or, montre que le genre de la science fiction est finalement employé pour
son potentiel de critiques du monde présent principalement à travers la
projection future du paysage urbain.
Les réalisateurs tournent leur regard vers la Terre.
II. L’architecture
réelle dans le cinéma de la Science Fiction
Nous pouvons définir le « ré-enchantement » du
monde comme une étape qui ramène l’imagination de l’homme sur la terre. Celui
ci suit le désenchantement, moment que l’on associe à la période d’errance du
cinéma de science fiction sur d’autres planètes, dans d’autres systèmes solaires et galaxies
(littérature Pulp, Star Trek).
Nous avons
pu voir que le cinéma de science fiction, à partir des années 1970, va acquérir
une popularité qui n’avait été jamais vue à présent. Les réalisateurs
s’inspirent des faits sociaux, politiques et militaires issus en grande majorité
de la Guerre Froide afin de donner plus de crédibilité aux scénarii envisagés.
Les différences avec les réalisateurs de science fiction du
début du siècle résident dans le fait qu’ils vont filmer
le monde réel et vont, pour la plupart, arrêter de peindre l’apparence du
Nébula 7 sur des plaques de cartons. Au lieu d’utiliser un montage temporaire
pour un film, le réalisateur est plus enclin à utiliser une architecture ou
paysage réel afin d’accorder une atmosphère authentique à l’histoire. Cependant,
le plus souvent, il va décider d’extrapoler des architectures spécifiques pour
ensuite les recomposer. L’architecture que l’on voit nous est familière, or le
contexte dans lequel in est inscrite nous est confus, nous repousse. Les
environnements du cinéma de science fiction se fondent sur cette technique
fondamentale pour décontextualiser géographiquement et chronologiquement les
lieux de tournage.
La perte de repère fait donc la force convaincante d’un
film de science fiction car le spectateur n’a que le choix d’accepter ce qu’il
voit.
Depuis les années 1970, nous observons deux objectifs propre
à l’utilisation de l’architecture réelle dans le cinéma de science fiction: le réalisateur
peut extrapoler une série de bâtiments pour créer un univers futuriste entièrement
ancré dans le réel, ou il peut autrement choisir d’utiliser une série de
bâtiments pour donner un niveau de détail plus important à un « paysage de
fond » crée principalement avec les moyens de logiciels de conception 3D (logiciels
CAO).
Nous allons examiner la première notion de
l’ « étrange familier » respectivement dans chacun des cinq
films choisies, afin d’introduire les intrigues de chacun, avant de poursuivre
avec une analyse comparée autour d’autres notions.
1) L ’étrange familier
Darko Suvin, le pionnier du genre de science fiction
moderne, définit cette dernière comme « un genre littéraire qui nécessite
une présence et une interaction constante entre l’imaginaire et le réel ».
Carl Freedman développera cette définition pour exprimer que « l’architecture
joue un rôle critique pour établir la plausibilité à travers le familier et
l’imagerie technologique, mais aussi en évoquant l’inconnu à travers l’étrange
familier ».
Ce terme est inventé par François Roustang, philosophe inspiré par le travail
de Freud sur l’ « unheimlich » : une malaise né d’une
rupture dans la rationalité rassurante de la vie quotidienne. Cependant, nous remarquons que le terme de
Freud gravite autour de la « maison », du « heim » en
allemand : nous optons donc pour le terme de Roustang qui possède une
liberté d’application.
La notion de l’ « étrange familier »
constitue le noyau central autour duquel se crée le film de science fiction,
car pour une raison très simple, il est très difficile aujourd’hui d’inventer
quelque
chose de réellement nouveau. Le réalisateur va prendre
quelque chose qui existe et puis y apporte une modification superficielle pour
le libérer d’une classification claire. Le spectateur va observer un
environnement qu’il va reconnaître, mais les modifications apportées sur celui
ci, empêchera le spectateur de le situer dans l’espace réel. (fig. 17)
Nous allons, à présent, analyser et comparer les cinq
films choisis afin d’en faire dégager les problématiques posées par chacun
autour du thème de l’ « étrange familier ».
Alphaville de Jean Luc Godard,
sorti en 1965, raconte l’histoire d’un célèbre agent secret, Lemmy Caution,
envoyé par les « pays extérieurs » à Alphaville, cité désincarné et éloigné
de la Terre. Le détective est chargé de neutraliser le dictateur Von Braun, qui
gouverne la ville à travers le superordinateur, Alpha 60.
Godard choisit de filmer le paysage urbain de Paris pour
capturer sa vision d’un futur effrayant, qui existe déjà à l’intérieur de notre
présent. La ville n’est jamais utilisée dans sa totalité, car le réalisateur
décide de filmer seulement certains quartiers qu’il juge conforme à sa propre
représentation d’une future urbaine effrayante pour limiter le champ de vue du
spectateur et concentrer sa vision de la ville du futur.
Il va intégrer les nouveaux quartiers de l’agglomération
parisienne constitués de tours et de barres d’habitations qui dessinent
l’horizon urbain oblique de Paris, la Maison de la Radio et ses couloirs
interminables (fig. 18 et 19),
l’Hôtel Sofitel Paris le Scribe, le nouveau siège social de la société Esso (fig. 20), premier immeuble moderne du
futur quartier d'affaires de La Défense, ainsi qu’une labyrinthe de parking et d’autoroutes
éclairés (fig. 21). Le dé-contextualisation
spatiale des bâtiments choisi nous rappel la
« géographie psycho-géographique » (fig. 22) développée par Guy Debord au cours du mouvement des
situationnistes.
L’utilisation de références urbaines de l’époque permet à
Godard de créer une mise à distance et de souligner une hostilité à l’égard de
ces nouvelles formes d’urbanisation.
Matt Hanson, un écrivain et réalisateur britannique
contemporain de la science fiction, observe que Alphaville présente « un changement radical dans l’imagerie de
science fiction, car Paris, un milieu urbain mondialement connu, est transformé
en environnement extraterrestre par des techniques minimalistes ». En
effet, le spectateur se fie uniquement à la parole du réalisateur qui lui
explique que la ville observée se situe sur une autre planète. Nous pouvons
parler ici de la « suspension consentie de l’incrédulité » : le
spectateur va mettre de côté son scepticisme, la durée du film et va accepter
de vivre une histoire fictive comme une réalité pour s’immerger dans le monde
qui lui est proposé.
De manière ironique, le futur froid et transparent qui
est critiqué au cours du film lui permet de filmer des scènes autrement
difficiles. En effet, l’opérateur de caméra Coultard révèle que dans la scène
où Lemmy Caution prend l’ascenseur pour monter à sa chambre dans l’hôtel
Sofitel, le caméra était positionné dans le deuxième ascenseur vitré,
synchronisé avec le premier pour suivre les mouvements du personnage.
L’architecture transparente des lieux de tournage permet
aussi à Godard de filmer des longs moments d’arrivée ou de départs des
personnages (fig. 22 et 23) qui
évoluent dans un univers parfaitement transparent : le film est, de ce
fait, comparable à l’œuvre cinématographique russe Nous autres de Yvgeny Zamyatin. Les surfaces de verre agissent
comme des filtres qui créent des environnements stériles et vertigineux.
Le réalisateur va surtout filmer des scènes de
circulation dans des couloirs sans fin, sur des autoroutes éclairés, dans des
parkings ou dans des hôtels qui ne permettent pas à l’homme de laisser sa
trace.
Godard remarque aussi le mouvement perpétuel dans sa
société instable, ce qui peut être relié avec le paysage urbain de Metropolis de Fritz Lang.
Le réalisateur a filmé le paysage urbain parisien de nuit,
ce qui a permis de créer un univers étranger à partir d’éléments architecturaux
pourtant familiers. Il va faire voyager le spectateur sans se déplacer, ce qui
constitue l’un des techniques fondamentales de la science fiction. Nous notons
qu’un nombre important d’œuvres décrit des histoires qui se déroulent la nuit,
ou dans une obscurité permanente et sinistre. L’imagerie nocturne permet de
faire usage de jeux de lumières complexes qui rappelles les « jungles
électro-graphiques » de Tokyo, de Shanghai et de Singapour. Il semble que
le spectateur associe le paysage urbain de nuit à une vision urbaine futuriste.
Pendant la nuit, dans les grandes villes de monde, la vue est souvent saturée
d’information provenant de panneaux publicitaires. L’obscurité crée une
atmosphère de claustrophobie renforcée par les foules qui se propagent dans les
rues. Sur ce point, il est intéressant de voir que le spectateur anticipe un
futur rendu dystopique notamment par la culture de surconsommation.
D’après le Philippe Ollagnier, professeur de sciences
sociales à l’université Paris 1 :
« ce paysage est, aux yeux du réalisateur, un moyen
de représenter la société́ urbaine désincarnée du futur, même si, comme
Jean-Luc Godard l’a affirmé dans un entretien, Alphaville, c'est un
film sur le futur, mais comme nous vivons dans le futur, c'est un film au futur
antérieur, c'est-à-dire au présent ».
Le réalisateur remarque donc que le futur existe déjà
dans le présent : sans apporter de modifications « artificielles »
sur l’environnement de Paris. Godard accomplit efficacement l’effet de
l’ « étrange familier » en montrant des interactions
perturbantes entre les personnages ainsi que leurs comportements individuels. Nous
rappelons qu’à l’intérieur d ‘Alphaville, les habitants sont incapables
d’émotions, telles que l’amour, le bonheur, la tristesse, ce qui les rends
vide,
neutre et semblables à des robots. La peur de voire
l’humanité se transformer en êtres « mécaniques » est un thème fondamental
dans la science fiction : celui ci est lié à la peur de l’autocratie qui
peut évider l’homme de tout son sens et valeur dans la recherche de la
domination totale.
Nous reviendrons plus tard sur la notion de
l’ « éternel présent », suggéré par la citation d’Ollagnier.
Presque quarante ans plus tard, en 2003, le réalisateur
britannique Michael Winterbottom va sortir le film Code 46, qui va employer les mêmes techniques cinématographiques
que l’œuvre de Godard pour capturer l’attention de son audience.
Dans un avenir proche, le monde est divisé entre des
grandes villes hyper modernes (fig. 24),
où les populations multiculturelles vivent dans des appartements aseptisés et
des vastes zones désertiques où se réfugient les exclus, les sans-papiers (fig. 25).
William, un homme
d’affaires dans une compagnie d’assurance est envoyé à Shanghai pour enquêter
parmi les employés de la société Sphynx à propos d'un vol de « papeles »,
documents qui permettent la libre circulation de l’individu qui les possèdent.
Il soupçonne une femme, Maria Gonzalez, mais ne fait parvenir cete information
aux autoritésEn protégeant cette femme, il est pourchassé à travers les divers microcosmes
urbains et les paysages désertiques recomposés par Winterbottom.
Le réalisateur décide de filmer dans les trois villes
mondiales pour créer les milieux urbains « intérieurs » : Shanghai
(fig. 26), Dubaï,
(fig. 27) et Londres (fig. 28). Il
nomme Dubai « Le Port Libre de Jabel Ali » pour masquer son identité
urbaine. Il filme notamment au Rajasthan pour les milieux désertiques
« extérieurs ». D’une manière similaire à Godard, il va choisir un
certains nombre de lieux de tournage, puis les recomposer pour créer une
continuité imaginée et contrastée entre les espaces : il nomme cette
technique la « géographie créative ». Contrairement à Godard, Winterbottom
met plus d’importance sur les paysages urbains et désertiques au sens large car
il crée un assemblage d’espaces extérieurs alors que Godard crée plus un
assemblage d’espaces architecturaux intérieurs.
Malgré cette différence, Godard et Winterbottom vont,
tout de même, assembler des espaces urbains spécifiques pour créer des villes
cellulaires afin de concentrer leur vision de la mégapole. Nous pouvons
suggérer que Winterbottom arrive à ajouter une couche de complexité supplémentaire
en montrant les espaces extérieurs aux grandes villes ce qui va créer un
contraste étonnant. Similairement à Godard, qui critique des exemples d’architectures
effrayants à Paris, Winterbottom semble critiquer la façon dont nous bâtissons
nos villes aujourd’hui et la perte de connexion avec le sol, ce qui lui permet
de facilement exploiter l’ « étrange familier » vis à vis du
spectateur. Kenneth Frampton définit trois facteurs qui conditionne
l’architecture: « Le construit semble invariablement résulter de l’interaction
permanente de trois vecteurs convergents: le topos, le typos et la tectonique ».
Le terme « tectonique » engobe tout le processus de la construction. « Le
typos » se réfère à la dimension d’identité, de culture, de l’être humain
dans le bâtiment. Enfin, le « topos » renvoie à la topographie, aux
conditions climatiques du site, à l’emplacement géographique. Les deux
réalisateurs semblent critiquer respectivement une rupture dans
l’interconnexion entre ces trois termes fondamentaux à l’architecture.
Nous observons qu’à travers ses choix de lieux de
tournage, Winterbottom favorise l’Asie et l’Orient. Le réalisateur admet qu’il
choisit d’abord ces lieux pour des questions budgétaires, mais que la décision
se fonde aussi sur un désir de confondre le spectateur européen. Il est vrai
que celui-ci n’a qu’une connaissance fragmentée de la géographie de l’Asie ou
du Moyen Orient. Le réalisateur exploite ces lacunes pour faire éprouver au
spectateur un sentiment d’ « étrange familier ». Il est évident
qu’il a déjà vu des photos et des vidéos du centre ville de Shanghai ou de Dubaï
mais il ne sait pas forcément à quoi peut ressembler l’extérieur des villes. C’est
pour cette raison que la technique d’extrapoler et de recomposer, utilisé par
Godard et par Winterbottom, ne peut exister que dans une « fenêtre
temporelle » assez réduite. Le jour où le spectateur européen aura une
connaissance plus approfondie de l’architecture de Dubaï et de Shanghai, le
technique perdra de sa force énigmatique.
Winterbottom choisit aussi de filmer dans les villes du
Moyen Orient et de l’Asie pour l’histoire des peuples nomadiques, multiculturelles.
En effet, il suffit de noter que la ville de Dubaï est composée d’environ 150
nationalités, avec la moitié de la population qui ne reste pas au delà de six
ans, à savoir des hommes d’affaires, des ouvriers qui vivent dans des
conditions déplorables, comparables à des esclaves.
L’architecture accumulative et spontanée des quartiers
pauvres du Moyen Orient et de l’Asie permet à Winterbottom de créer un futur
bâti d’un réalisme étonnant. En effet, les visions du futur qui montre des
paysages urbains uniformes « utopiques » perdent très vite de leur
pouvoir émotif. L’image du paysage urbain chaotique, dystopique même, possède
un aspect plus plausible pour le spectateur. L’imagerie associée à la dystopie
est plus favorisée aujourd’hui que celle de l’utopie, qui est clairement archaïque.
En effet, il semble que l’homme contemporain possède un fétiche caché pour voir
un monde apocalyptique, un monde détruit, une tabula rasa de tut ce qu’il
connait. Le genre apocalyptique, post apocalyptique, ou dystopique constitue
une forme de catharsis pour le spectateur qui va purifier ses pensées par le
moyen de la représentation. Ce n’est pas donc étonnant de voir que cinquante
quatre films du genre dystopique sont sortis dans les dernières dix années.
D’après Todd Alcott, un journaliste américain spécialisé
dans l’effet des technologies numériques sur les circulations humaines dans les
métropoles, « Code 46 n’est pas un film qui décrit un futur, mais un film
qui semble venir du futur, dans le même sens que Barry Lyndon de Stanley
Kubrick est un film qui décrit une histoire au XVIIIème siècle, fait au
XVIIIème siècle ». Même
si le monde de Code 46 est divisé entre les « intérieurs urbains » et
les « extérieurs désertiques », Winterbottom parvient tout de même à
créer un univers ouvert dans lequel les personnages circulent librement
lorsqu’ils possèdent les documents de voyages nécessaires. Cette liberté de
circulation, dont les seuls obstacles sont des points de contrôles, associé
avec le côté très intime des cadrages pour filmer les interactions entre les
personnages, révèle que le film ne cherche pas à décrire un futur mais à transmettre
l’expérience réelle d’un futur incertain. L’utilisation de plans séquences,
parfois longues de cinq minutes, permet au spectateur de se rapprocher des
personnages ou encore d’apprécier des paysages urbains ou désertiques.
De plus, le fait de filmer tous les moments de la journée
donne une couche de réalisme supplémentaire au film et indique la volonté de
Winterbottom d’aller à l’encontre de la vision dystopique stéréotypée de Blade Runner. Avec tous ces détails, il
risque de révéler l’emplacement réel des lieux de tournage et la perte de la
notion de l ‘« étrange familier »
Nous allons maintenant étudier le premier volet du saga
cyberpunk crée par Andy et Lana Wachowski sorti en 1999 : le Matrix. L’histoire suit le personnage de
Thomas Anderson, un programmeur anonyme dans un service administratif le jour
et qui, la nuit venue, devient Néo, un hacker du cyber-space. Au début du
film,lLe personnage est assailli par d'étranges songes et des messages cryptés
provenant d'un certain Morpheus. Celui-ci le confronte et lui révèle la réalité
de son existence, comparable à celle d’un des prisonniers dans l’allégorie de
la caverne de Platon : il habite dans le monde virtuel du Matrix.
Les réalisateurs du film s’inspirent de la théorie de
l’hyper-réalité développée par le philosophe Jean Baudrillard. Celle ci caractérise
le moment où la conscience perd sa capacité à
distinguer la réalité de l’imaginaire et commence à interagir avec ce dernier
sans comprendre ce qu’il fait : elle s’introduit alors dans le monde de
l’hyper-réel. C’est pourquoi, avec l’aide de Morpheus, Néo parvient à transgresser
le monde du Matrix pour pénétrer dans le monde réel. Il est parmi les quelques
hommes libres, « débranchés » du Matrix qui se réfugient dans la
ville souterraine de Zion.
Nous observons un paradoxe dans la façon où
les Wachowski vont filmer le monde virtuel du Matrix et le monde réel : les
réalisateurs décident de filmer le monde virtuel du Matrix dans le monde réel
du spectateur (fig. 29). Ils vont ensuite
concevoir le monde réel dans l’histoire à
l’aide de logiciels CAO
(conception assisté par ordinateur), un monde qui est donc virtuel pour le
spectateur.
Le monde réel post apocalyptique de
l’histoire est composé de trois paysages différents: les tunnels de service
souterraines (fig. 30), la cité
humaine souterraine de « Zion » (fig.
31)et la cité des machines qui domine la surface de la Terre appelée « 01 » (fig. 32). Ce n’est que dans le
deuxième volet de la trilogie que le spectateur va finalement voir la cité
humaine, et dans le troisième volet qu’il va observer en détail l’apparence de
la cité des machines.
Cependant, c’est le monde virtuel du Matrix
qui nous intrigue le plus pour son utilisation d’un milieu urbain qui semble
familier au spectateur mais qui est pourtant étrange et difficile à situer. En
vérité, les Wachowski choisissent la
capitale australienne de Sydney pour filmer un environnement urbain difficilement
reconnaissable. Ils décident aussi de ne pas offrir de vues sur l’Opéra de
Sydney ou sur le Harbour Bridge pour maintenir secret l’emplacement réel du
lieu de tournage. En effet, l’architecture moderne de verre et d’acier du
Central Business District est quasi-exclusivement filmée. Le bâtiment Allianz (fig. 33), la tour AON et la tour BT figurent parmi les
structures qui seront aussi utilisées.
De plus, la neutralité de l’environnement
urbain qui fait naitre le sentiment de l’ « étrange familier » chez
le spectateur, les Wacowski vont montrer une interaction anormale entre les
habitants du Matrix. En effet, lorsque Néo est rebranché dans le monde virtuel,
après que Morpheus lui a montré l’état apocalyptique du monde réel, il remarque
que les personnes qui l’entourent dans la rue, marche en solitaire, sont tous
habillées en costumes noirs et gris et ne possèdent pas caractéristiques
physiques distincts. Le spectateur semble voir des clones qui forment une masse
noire en mouvement perpétuel, autrement dit, une caricature de la population
« robotique » urbaine. En ce sens, les réalisateurs critiquent la
culture virtuelle qui peut avoir pour conséquence une homogénéisation de la
culture.
Le travail de lumière dans le film possède
une place importante dans la compréhension de l’intrigue. Ainsi, il faut noter
que l’Australie est dotée d’une lumière forte et rasante, qui paraît donc presque
artificiel dans le milieu urbain. Le spectateur peut aussi observer l’usage de
teintes vertes et bleuâtre dans les différentes scènes. Le contraste entre la
lumière naturelle teintée verte et la lumière artificielle teintée bleuâtre,
permet de mieux comprendre les transitions entre le monde réel et le monde
virtuel. Le monde réel dans le film est crée sur un écran bleu, d’où la teinte bleue
qui le distingue du Matrix, et les scènes tournés dans le Matrix sont parfois
tournés sur écran vert (fig. 34).
Les tunnels de services souterrains ainsi que la cité des
machines ont été crées par des logiciels de conception 3D qui employaient des
formules mathématiques dérivés de la suite de Fibonacci pour les faire « pousser
spontanément » plutôt que de les construire bloc par bloc (fig. 35). Le même technique a été utilisée
par le laboratoire de recherche ALICE de l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne pour créer un réseau d’îles
utopiques en expansion infinie sur le lac de Léman. Il est intéressant de noter
que les personnes responsables de la conception du monde réel dans le Matrix
ont développées une méthode qui minimisait leur intervention pour maximiser l’aspect
chaotique et spontané des lieux crées.
Blade Runner, réalisé en 1987,
de Ridley Scott est un film de science fiction post-moderne dont le succès
cinématographique est comparable à celui de la saga Star Wars. Dans le cadre de notre analyse, il s’agit du seul film avec
le Matrix qui emploi largement
l’image de synthèse en plus d’une intervention importante sur les lieux de
tournage « réels ».
Le préambule de l’histoire raconte qu’à la fin des années
du XXème siècle, une grande partie de la population humaine quitte les
mégalopoles de la Terre devenues insalubres, pour coloniser les planètes
extérieures. Sur ces nouvelles colonies naît un nouveau forme d’esclave :
celui des « réplicants », un robot crée à l’image de l’homme, qui
assimile un corps mi-biologique, mi-mécanique.
L’histoire se déroule à Los Angeles en 2019 et suit le
détective Deckar, un agent d’une unité spéciale, un « blade runner »,
qui a pour mission de pourchasser et neutraliser quatre de ces « réplicants »,
type Nexus 7, qui se sont échappé à Los Angeles après avoir massacré un
équipage et pris contrôle d’un vaisseau.
Le film de Ridley Scott est un œuvre emblématique du néo-noir
cyberpunk car il assimile une vision post apocalyptique du futur avec des
avancées spectaculaires en technologies numérique (fig. 36). D’ailleurs, l’imagerie du film possède une telle
puissance que la scène aérienne où le véhicule de Deckar vole devant un panneau
publicitaire numérique a été reprit dans Le
Cinquième Elément de Luc Besson sorti en 1997(fig. 37).
Scott va incorporer la maquette, l’infographie, et
l’espace réel pour créer le monde de Blade Runner. (fig. 38) Nous pouvons suggérer que Ridley Scott cherche à
attribuer un degré de détail réel et des atmosphères authentiques à l’histoire
qui a pour image de fond un paysage crée par image de synthèse.
Ainsi, il va filmer des scènes dans le Bradbury Building (fig. 39), un bâtiment qui a été
beaucoup utilisé dans le cinéma américain, la gare Union Station (fig. 40), emblématique de Los Angeles,
le Yukon Hotel et le Ennis Brown House (fig.
41). Nous rappelons que tous ces bâtiments se trouvent à l’intérieur de la
vile de Los Angeles ou dans ses environs. Cependant, le réalisateur va
effectuer une recomposition entière de la ville en augmentant la distance qui
sépare les bâtiments. Scott ne respecte donc pas l’organisation urbaine et crée
une continuité artificielle entre les lieux.
Le réalisateur va inventer un technique visuel qu’il
nomme « retrofitting » lorsqu’il va appliquer des couches de
tuyauteries, de conduits d’air, de câbles électriques et des surfaces
métalliques sur les façades extérieures et les parois intérieurs des
bâtiments réels qu’il choisit de filmer. Ridley Scott va habiller les structures
pour indiquer les modifications qu’elles ont subit au cours du temps pour
satisfaire aux demandes croissantes de la population. Les couches de matières
illustrent, tout simplement, le passage du temps.
Il est intéressant de noter qu’un style art déco, qui se
manifeste avec le Bradbury Building et la Union Station, ainsi qu’un style
historiciste moderne Maya, avec le Ennis Brown House, le Pyramide de la Tyrell
Corporation, sont dominants dans l’univers dystopique de Blade Runner. L’éclectisme général de l’espace urbain est la source
principale qui fait naître l’ « étrange familier ». Nous pouvons
apprécier la plausibilité de la représentation de la ville du futur: il n’y a
pas de plan utopique comparable au Plan Voisin de Le Corbusier, il n’y a pas de
style architectural qui homogénéise la ville, il y a tout simplement une
accumulation architecturale et matérielle causée par une surpeuplement puis le dépeuplement. Le sentiment de
claustrophobie joue donc un rôle central à l’intrigue. En effet, dans les
scènes de rue, les personnages se déplacement difficilement dans les foules ou
entre les véhicules de services abandonnés. De même pour les espaces
intérieurs, où le technique de « retrofitting » bloque parfois la
circulation des personnages.
Le film est aussi grandement connu pour ses vues du
paysage urbain futuriste illuminé dans l’obscurité. Les conditions climatiques
s’expliquent par une atmosphère hautement polluée et irradiée par une guerre
nucléaire. Comme Godard, filmer de nuit attribue une mystification de lieux
pourtant connus tels que Union Station, ou encore le Ennis Brown House. Il est intéressant de noter que le spectateur soit
souvent incapable de repérer un bâtiment reconnu dans le noir, alors que son
géométrie et ses lignes de construction sont parfaitement visible. L’apport de
lumière à l’intérieur de ces espaces est un élément indispensable pour qu’il puisse les reconnaître : les
rayons de soleil qui pénètrent à l’intérieur de la Union Station sont tout
aussi important que l’aspect de son fronton emblématique.
Le fils de l’Homme de Alfonso Cuaron
sorti en 2006 se distingue nettement des autres films sélectionnés : c’est
un film qui crée le futur à partir du passé.
Cuaron décrit la capitale londonienne en 2027, dans un
contexte de crise mondiale où les êtres humains ne parviennent plus à se reproduire.
Le film débute avec l’annonce de la mort de la plus jeune personne, âgée de 18
ans, qui met la population en émoi collectif. Le spectateur suit Theo Faron, un
ancien activiste politique devenu employé de bureau, qui est impliqué dans un mouvement
révolutionnaire qui tente de protéger la première femme tombée enceinte, un
fait qui ne s’est pas produit depuis une vingtaine d’années. Au moment de la
sortie du film, la communauté scientifique britannique est en train de parler
des effets de perturbateurs endocriniens sur la fertilité masculine, ce qui va
actualiser les thèmes et intensifier la réception de l’œuvre.
Pour réaliser son film, Cuaron va s’inspirer de courts
métrages de nouveautés, appelés « Newsreels » en anglais, tournés au
moment du Blitz à Londres, entre 1940 et 1941. L’imagerie est comparable au
film de propagande London Can Take It
réalisé par Humphrey Jenning en 1940 (fig.
42). Cuaron cherche alors à retranscrire l’atmosphère funeste d’un pays en
crise.
Le réalisateur décide de s’opposer explicitement à Blade Runner de Ridley Scott, (comme l’œuvre Les Mondes Futurs du réalisateur
britannique Cameron Menzies s’opposait à Metropolis
de Fritz Lang) allant jusqu’à nommer son film un « anti-Blade
Runner ». Il cherche à minimiser l’intervention sur la ville pour le
transformer en ville dystopique plus proche du réel. Le réalisateur n’apporte donc
que des rares modifications sur le paysage urbain de Londres. Ces modifications
subtiles se repèrent sur les voitures, les armes et les technologies
numériques. C’est cette intervention minimale qui donne de la profondeur au
film et réduit l’effet de l’ « étrange familier » à son stricte
minimum. Une intervention trop importante résulte d’une ambition démesurée pour
le futur, pour les avancées technologiques. Cela à pu être observé avec les
films tels que 2001 : Odyssée de l’Espace de Stanley Kurbick, réalisé en 1968
et qui nous projette dans l’année 2001 ou encore avec Blade Runner de Ridley Scott, réalisé en 1987, où l’histoire est
située en 2019. On rappelle qu’une ambition irréaliste est caractéristique du
cinéma populaire de science fiction.
Cuaron décide de filmer dans des bâtiments
essentiellement industriels, comme la Battersea Power Station (fig. 43), les Chatham Dockyards (fig. 44), le musée d’art contemporain
Tate Modern et dans le quartier défavorisé du East End de Londres(fig. 45). Le graphisme des bâtiments
industriels lui permet de filmer dans des environnements bâtis riches en
détail, qui manifestent l’état âgé et dégradé du pays. Filmer quasi
exclusivement dans l’architecture industrielle indique aussi une nostalgie
historique pour la puissance économique de l’Empire Britannique d’autrefois.
D’après le réalisateur : « il ne s’agit pas de présenter une vision
pessimiste du futur, mais une vision réaliste du présent ». Nous
retrouvons ici l’intérêt central du film de science fiction qui n’est pas une
vision anticipative du futur, mais plutôt une critique du présent.
Cuaron va aussi filmer la campagne anglaise, pour
capturer son paysage pittoresque et son architecture traditionnelle (fig. 46). Il exploite le contraste
entre la ville et la campagne pour réfléchir sur la place de l’espace rural
dans l’histoire de la Grande Bretagne ; d’abord avec les mouvements démographique
de la campagne vers les villes au moment de l’industrialisation, puis avec les
l’évacuation des enfants des la ville vers la campagne pendant le Blitz. Il
exploite la connexion intime que la population anglaise partage avec l’espace
rural.
Dans le choix de bâtiments utilisés pour créer l’univers
du film, il est impératif de noter que Cuaron respecte la géographie urbaine
existante de Londres parce qu’il ne va pas extrapoler puis restructurer son
propre univers construit mais va plutôt reproduire l’image réelle du milieu urbain.
Une fois de plus, nous » observons comment Cuaron réduit l’effet de
l’ « étrange familier » au stricte minimum : il
cherche à produire un film aussi proche de la réalité possible, avec le moins
de d’intervention. D’ailleurs, avant d’entamer la production du film, il avait
suggéré d’utiliser des effets spéciaux, idée qui était systématiquement refusée
par le directeur de photographie. En effet, leur ambition commune était de
filmer Le Fils de l’Homme comme une
« docu-fiction » (documentaire fictive), ce qui explique
l’utilisation de plans séquences longues dans lesquelles se déroulent des
actions complexes. Même les scènes qui se déroulent en voiture ont été
réellement filmées, ce qui a nécessité la construction de systèmes
d’échafaudage pour permettre l’installation de a caméra (fig. 47).
Après cette «étude initiale de ces cinq films, il nous
est paruintéressant de se tourner vers une citation de William Gibson :
« Le futur est arrivé, il est simplement inégalement réparti ».
La modernité est répartie de façon hétérogène à travers
les pays du globe, et encore plus à l’intérieur des villes mondiales elles mêmes.
Les réalisateurs vont profiter de cette répartition inégale de
« différentes types de modernités pour choisir les éléments qui les
intéressent le plus : l’intemporalité du style international de New York
ou les nuits néon-illuminées de Shanghai. Ce « futur » peut aussi
être observé dans les environnements naturels les plus reculés du globe, comme
par exemple sur le continent glacial de l’Antarctique ou dans le Sahara.
Dans le cinéma de science fiction où les réalisateurs n’empruntent
que des architectures réelles pour créer les villes du futurs, le technique d’extrapoler
et puis de réassembler semble être le plus utilisé, et semble illustrer
parfaitement la définition que Frederic Jameson donne à la science
fiction : « un genre qui dé-familiarise et restructure l’expérience
de notre présent ».
Ce technique est illustré par l’image de la première de couverture : la photomontage
de Paul Citroën réalisé en 1923 (fig.
48). L’artiste va superposer, juxtaposer et enchevêtrer des images de
bâtiments plus ou moins connus de paysages urbains différents des années 1920,
pour créer un nouvel espace urbain, un nouvel ensemble architectural. Comme Godard, Winterbottom, Wachwoski, et
Scott, Citroën est devenu urbaniste et emprunte à différentes villes pour en
recréer une nouvelle métropole imaginaire.
2) Hétérotopie et
hétérochronie
Suite à notre réflexion sur « l’étrange familier »,
il est maintenant nécessaire d’aborder la notion
d’ « hétérotopie ». En effet, lorsqu’un réalisateur décide de
tourner son film dans une ville comme Paris, qui est pourtant familière au
spectateur, mais qu’il modifie notre perception du contexte géographique-chronologique
de la ville, celle-ci acquiert un statut d’« hétérotopie ».
L'hétérotopie, du grec « topos », lieu, et « hétéro », autre,
est un concept forgé par Michel Foucault dans son oeuvre de 1967 intitulée, Des espaces autres. Une hétérotopie est un lieu géographiquement localisable
dans l’espace réel, mais qui renvoie, ou nous projette dans un autre lieu, non
réel. Elle s’oppose donc à l’utopie qui ne peut, par définition, exister dans
le lieu réel.
Pour introduire le lecteur à la notion
d’ « hétérotopie », Foucault donne en premier exemple celui du miroir :
la personne situé devant le miroir est capable de se situer dans l’espace réel,
mais voit sa projection à l’intérieur de l’espace du miroir, un espace
difficile à qualifier. (fig. 49) En
effet, d’après les mots de Foucault :
« Le miroir est une utopie puisque c’est un lieu
sans lieu. C’est également une hétérotopie dans la mesure ou le miroir existe
réellement et ou il y a, sur la place que j’occupe, une sorte d’effet de
retour ».
Cet exemple du miroir nous aide à introduire la notion de
Foucault, mais dans le cadre du sujet du cinéma de la science fiction, nous
allons plutôt nous concentrer sur celui qu’il évoquera plus tard dans son
argumentation.
Pour attribuer une couche de complexité supplémentaire à
sa notion, l’auteur utilise l’exemple de la scène de théâtre. Il est certain
que le spectateur est capable de localiser l’acteur dans l’espace de la scène
pendant une représentation. Cependant, l’acteur doit normalement arriver à
faire envoler le spectateur de son siège, de lui faire voir la scène non plus
comme quelques planches de bois qui se reposent sur une structure acier, mais
comme une pièce dans un château fort, ou comme une forêt, une plaine ou encore
comme les abords d’une rivière. La ville est donc très similaire à la scène de
théâtre. Avec un certain talent, le réalisateur peut faire croire au spectateur
ce qu’il veux avec des moyens peu importants.
Nous pouvons alors supposer que la ville de Paris dans Alphaville se transforme en ville extraterrestre
située sur une planète distante de la Terre, uniquement à travers l’imaginaire
du spectateur. Le réalisateur offre donc au spectateur une vision radicalement
différente d’une chose familière, et l’incite à voyager.
Il sera maintenant intéressant d’étudier les six
principes dégagés par Foucault qui permettent une description systématique des
hétérotopies.
En effet, pour résumer celles ci, nous nous référons à une
interview radio de 1966, où Foucault va les lister d’une manière brève et
concise :
« -
les hétérotopies sont présentes dans toute culture
-les hétérotopies ont une fonction par rapport aux autres
espaces des sociétés : elles sont soit des espaces d'illusion soit des
espaces de perfections
-une même hétérotopie peut voir sa fonction différer dans
le temps
-l'hétérotopie peut juxtaposer en un seul lieu plusieurs
espaces eux-mêmes incompatibles dans l'espace réel
-l'hétérotopie peut s'ouvrir et se fermer, ce qui à la
fois l'isole, la rend accessible et pénétrable
-au sein d'une hétérotopie existe une hétérochronie, à
savoir une rupture avec le temps réel ».
Nous allons nous concentrer sur le, la deuxième et le
dernier principe afin d’approfondir notre compréhension de la notion
d’hétérotopie. L’existence d’« hétérotopies » dans toutes les
cultures du monde, qui se trouvent sous forme d’espaces de représentation, de
lieux sacrés dans les sociétés primitives indique un besoin pour ces lieux dans
les sociétés. Pourquoi l’homme à t-il besoin de lieux qui l’enlèvent du monde
réel, pour aller vers un non lieu imaginaire ? N’est ce pas le même
procédé des films de science fiction qui sont filmés dans le monde réel mais
qui les manipulent au point de les décontextualiser géographiquement et
temporellement ? Ce processus se définit comme une fabrication d’illusion :
le réalisateur emploie des techniques spécifiques pour créer un monde parallèle
dont la fonction est de critiquer le présent. Nous sommes maintenant arrivé à
une conclusion paradoxale de la ville dans la science fiction : le
réalisateur crée une « hétérotopie ». Celui ci va faire voyager le
spectateur dans un monde parallèle, sur lequel il va apporter une critique,
simplement pour faire revenir le spectateur au monde d’origine.
En plus d’être une « hétérotopie », la ville
dans le cinéma de science fiction est utilisée comme « hétérochronie ».
En effet, Foucault explique que « Les hétérochronies sont liées à des
découpages du temps, c’est à dire qu’elles ouvrent sur ce qu’on pourrait
appeler, par pur symétrie, des hétérochronies et que des hétérotopies
liées à l’accumulation du temps ».
Foucault emploi l’exemple du musée ou encore de la bibliothèque pour illustrer
l’idée d’un espace qui assemblent des composants venants de moments différents
dans l’Histoire. L’assemblage de styles architecturaux dans l’exemple emblématique
de Blade Runner montre l’utilisation
de styles historicistes éclectiques, monumentaux et modernes. Le terme
« hétéorochronie » appliqué à une ville de science fiction renvoie
tout simplement à son profondeur historique. C’est comme cela que l’assemblage
de styles dans Blade Runner et le
recouvrement de façades par des plaques et des tuyaux servent à convaincre le
spectateur de l’aspect âgé et dégradé de la ville. Cependant, nous
remarquons qu’une ville est une « hétéorchronie » à la base, car elle
est crée par l’accumulation de bâtiment datant d’époques différentes mais
qu’elle devient une « hétérotopie » lorsqu’elle est employée par le
réalisateur.
Nous remarquons que Cuaron insiste aussi sur la notion
d « hétérochronie » lorsqu’il va filmer l’architecture
principalement industrielle à travers Londres et la campagne. En effet,
certains bâtiments modernes sont visibles dans les scènes mais ne sont pas
l’objet d’intérêt : Cuaron vise surtout à démontrer la diversité
architecturale dans le pays. Le passage du temps est d’ailleurs le thème
fondamental à l’histoire : maintenant que les humains sont pus capables de
reproduire, chaque instant qui passe ne sera pas renouvelé avec une nouvelle
génération. Cela explique donc le
sentiment de nostalgie constante pendant le film.
3) l’architecture du futur
Nous tournons dès
lors notre attention vers le choix des bâtiments employés par les cinq réalisateurs.
Ceux ci vont être parfois être décontextualisé pour ensuite être recomposés
dans le but de créer des atmosphères spécifiques pour illustrer les thèmes des
histoires. Dans cette partie, il est essentiel de revoir des idées développées
dans la partie sur l’ « étrange familier ».
Le choix des
bâtiments reflète les thèmes abordés par le film, les réflexions que le
réalisateur cherche à transmettre par des images. Par exemple, dans un futur dystopique,
un réalisateur pourrait filmer l’architecture anarchique d’un bidonville en
Afrique du Sud ou un favela à Rio de Janeiro. Il pourrait aussi utiliser une
série de bâtiments connus sur lesquels il va appliquer une couche de
tuyauterie, de plaques métalliques, comme l’on a pu voir dans Blade Runner avec le technique de
« retrofitting » de Ridley Scott.
Le réalisateur va jouer le rôle d’architecte lorsqu’il il choisit de
filmer la façade d’un bâtiment, mais utiliser l’intérieur d’un autre, et va
jouer le rôle d’urbaniste lorsqu’il recompose sa ville dystopique ou utopique
idéale.
C’est comme cela
que dans la scène où le détective Deckar rentre chez lui, Scott nous donne à
voir une façade de bâtiment style art déco conçu par logiciel (fig. 50), et il filme l’intérieur de
son appartement dans la maison Ennis Brown de Frank Lloyd Wright (fig. 51), architecture qui emploi des
blocs de béton et qui est inspirée par l’architecture Maya. Le réalisateur va
sélectionner des composants architecturaux qu’il juge conforme à sa vision
globale puis les assembler comme des blocs de Lego pour former un tout.
Nous commençons par regarder la place de l’architecture
du « style international » dans Alphaville,
le Matrix, et Code 46.
Le style est issu de l’amalgame entre
les idées sur le fonctionnalisme esthétique du Bauhaus et le mouvement moderne
architectural aux Etats Unis et exploite les possibilités constructives du
béton de l’acier
et du verre. Celui ci se construit en rupture totale avec le passé, et
s’associe conséquemment à un style neutre, qui expérimente avec les surfaces extérieures
lisses sans ornementation. Il semble approprié de dire que le «
style international » est né aux Etats Unis, un pays qui ne possède
pas réellement de passé, sauf celui de la population amérindienne, qui a été
massacrée suite à l’arrivée des colons et leur conquête du Nouveau Monde.
Notons que le style,
tel qu’il est représenté dans Alphaville,
possède tout d’abord une fonction utilitaire car la transparence va permettre
de filmer les longues arrivées et les départs des personnages à l’intérieur et
à l’extérieur des bâtiments.
L’ « architecture
effrayante moderne » sur lequel porte la critique de Godard, se définit
par une régularité monotone de surfaces lisses et un aspect général aseptisé
des espaces. Il met en parallèle cette architecture sans âme avec les habitants
de la ville d’Alphaville, vides d’émotions et de volonté personnelle. Le fait
de placer Alphaville sur « une planète distante de quelques années
lumières de la Terre » révèle un autre aspect de la critique de Godard,
qui est similaire à celle de Winterbottom dans Code 46 : le « style international » peut être calqué sur
une autre planète sans même que le spectateur se pose des questions.
Winterbottom semble amener sa critique plus loin en filmant Dubaï et ses
nombreuses grattes ciels. En effet, l’architecte américain Adrian Smith, en
charge du projet du Burj Khalifa (fig.
52), le gratte ciel de 828 mètres de haut, révèle que la Cité d’Emeraude de
Le Magicien d’Oz à été une source d’inspiration
pour le projet (fig. 53) : c’est
« la façon dont la structure surgit de nul part qui m’a séduit » dit il.
De plus, dans le
cas de Code 46 et Alphaville , ils semblent que les
réalisateurs critique l’aspect de l’architecture moderne qui ne permet pas à
l’homme de laisser sa trace, ni à celle du temps. L’acier, le verre et le béton (sauf le béton brute de décoffrage) sont des
matériaux qui veulent se libérer de l’effet du temps qui passe.
L’œuvre cyberpunk le Matrix des frères Wachowski semble
critiquer tous ces mêmes aspects mais cherche essentiellement à créer un
parallèle entre la neutralité des vies des humains qui vivent dans le monde
« parfait » du Matrix et l’absence de connexion au sol de
l’architecture du Central Business District de Sidney. Dans l’histoire de
l’Australie, il faut rappeler que les colons européens n’arrivent sur le
contient qu’à partir de 1750, moment ou commence la « modernisation »
du pays. Il est intéressant une fois de plus de faire la connexion entre le
style international et la jeunesse historique d’un pays.
Dans le film, il
faut comprendre que ce sont les machines qui vont créer le paysage urbain de la
Mégapole du Matrix. La complexité extrême de l’environnement et les conditions
physiques
qu’ils essayent de reproduire les poussent à concevoir
une architecture minimaliste et neutre qui va agir comme une mise en scène dans
un Western pour créer l’illusion de la ville (fig. 54 et 55).
Cependant, le spectateur peut remarquer l’utilisation
d’un style rétro-futuriste et brutaliste pour le monde rée, où la guerre entre
es humains et les machines ont ravagé la surface. En effet, le labyrinthe de
tunnels de services, la cité humaine de Zion et la Cité des machines illustre
un monde dominé par la machine, par un style industriel. Contrairement au style
international qui n’accepte pas la saleté, le style architecturale industrielle
ainsi que le « steampunk » (style influencée par l’ère victorienne et
la technologie mécanique à vapeur) semble fleurir sous la saleté et
l’obscurité. Les conditions de « sinistre présage » accentuent le
caractère graphique de ces styles.
Les trois films
semblent critiquer la notion d’esthétique architecturale moderne qui désir un
monde lisse, neutre sans traces qui empêche les effets du temps. La critique
affecte l’architecture qui veut faire disparaître la main de l’œuvre.
Dans les films de Blade Runner et Le Fils de L’homme, les réalisateurs exploitent les styles
architecturaux du passé pour créer des futurs « anciens ».
En effet, pour
créer le paysage urbain de Londres en 2027 ainsi que le paysage extérieur rural,
Cuaron va sélectionner un style majoritairement industriel ou victorien. Il va
utiliser la façade extérieure de Battersea Power Station et l’intérieur du Tate
Modern pour créer le l’ « Arche des Arts », le dépôt d’œuvres
d’art que le personnage principale, Theo Faron, va visiter. Le spectateur a
l’impression de regarder un futur fatigué, non soigné, qui illustre l’état de
crise dans lequel se retrouve l’humanité. Il faut noter que la Battersea Power
Station a récemment été l’objet d’un projet de réhabilitation en centre
commercial et en logements par l’architecte Rafael Vinoly Architectes (fig. 56), ce qui indique la volonté de
la ville de Londres de maintenir ses bâtiments industriels au cœur de son image
international. L’apparence très graphique de l’architecture industrielle,
construit en brique et en structure acier possède une ampleur historique qui
permet de l’inscrire à toutes les époques dans le futur. En effet, c’est un
style qui est présente principalement dans la quasi totalité des grandes villes
Européennes qui ont vécu une forte industrialisation.
Nous notons que le
mouvement « Archigram » va se servir des mêmes traits de construction
et de la liberté de plan de l’architecture industrielle, comme nous l’avions vu
avec la structure hangar de « Fun Palace » de Cedric Price (fig. 57), afin d’insérer les éléments
programmatiques de leur projets. Les architectes contre-utopistes prennent
conscience des potentiels d’une architecture ouverte pour le futur, qui permet une
circulation humaine intense, thème essentiel à la revue
« Archigram ».
Lorsque Cuaron va
filmer la campagne, au moment où Theo Faron est poursuivi par les autorités, le
contraste entre l’architecture dégradée de la ville et l’aspect pittoresque de
l’espace rural étonne le spectateur. Il semble presque que la campagne est une
sorte de jardin d’Eden en expansion face à
la disparition des milieux urbains, pas encore touché par la présence chaotique
de l’homme. En contraste avec les bâtiments industriels de la ville, le
spectateur va observer la maison bohémienne de Jasper Palmer, l’ami dessinateur
de presse de Theo, ainsi que la maison-ferme, en style victorienne, de
regroupement des forces révolutionnaires qui tente de protéger la première
femme enceinte. La puissance émotive de ces lieux résident dans leur intimité
intérieure, et dans l’intimité de leur contexte isolé dans la forêt ou sur la
plaine.
Ridley Scott représente la ville de Los Angeles en 2019 par
une accumulation d’une multitude de styles, qui passent par le style
néo-classique, historiciste, l’art déco et moderne. Il va concevoir une ville « Jéricho »,
une ville composée de strates historiques : « la ville se construit
sur la ville » comme le clament les slogans urbanistiques aujourd’hui.
Cette sensation d’accumulation, dans un état dégradé, illustre l’état misérable
de la société et indique la surpopulation qui a au départ des humains sur les
colonies dans l’espace.
Il est intéressant de noter qu’un style art déco, qui se
manifeste avec le Bradbury Building et Union Station, ainsi qu’un style
historiciste éclectique Maya, avec le Ennis Brown House, le Pyramide de la
Tyrell Corporation (fig. 58 et 59),
sont dominants dans l’univers dystopique de Blade
Runner. En effet, l’art déco et le style historiciste de manière générale
sont parmi les styles architecturaux et artistiques les plus utilisés dans les
mondes de science fiction. Nous rappelons la perspective emblématique de Métropolis qui montre le boulevard principal
avec la tour Babel au bout, siège du pouvoir autocrate de la mégapole (fig. 60). Cela s’explique d’abord par
une vision nostalgique du passé dans le futur : le fait de se baser sur un
style tel que le néo classicisme a aussi pour effet de se baser sur un
fondement de la civilisation occidentale. Les styles historicistes emportent
avec eux une pesanteur historique, une notion d’éternité.
Le choix de l’art déco, qui possède des caractéristiques
enraciné dans le monumentalisme, est issu de son aspect colossal, voire
impérial. Dans le monde de Blade Runner,
il semble que la corporation Tyrell est l’entité gouvernante qui dirige la
ville de Los Angeles. Il semble donc un choix approprié d’utiliser le style art
déco pour refléter le pouvoir autocrate régnant.
Nous pouvons même suggérer que le style monumental est
régulièrement utilisé dans les films de science fiction car l’homme cherche
désespérément à laisser plus qu’un emprunt sur la Terre. Il cherche à rendre pérenne
sa trace: une architecture massive semble donc être un choix rationnel.
Il est maintenant
temps de poser une question qui affecte la plupart des choix de bâtiment dans
les films de science fiction : qu’est ce qui donne l’aspect intemporel à
un bâtiment ?
En étudiant les
grands maîtres de l’architecture moderne, on parle souvent de
« l’intemporalité de leurs œuvres », pour exprimer qu’elles ne
peuvent pas être ancrées dans une époque spécifique. Cette dimension
intemporelle se retrouve surtout dans les architectures minimalistes, monumentales, qui semble posséder une
dimension cosmique, grâce à leur simplicité et leur « présence ».
Cependant, le
cinéma de la science fiction nous révèle que les styles architecturaux n’appartiennent
pas à des époques uniques. De telle sorte, le style historiciste Maya que l’on retrouve
dans l’appartement de Deckar dans Blade
Runner pourrait très bien appartenir au XXIème siècle, de même pour la
façade extérieure du Battersea Power Station dans
Le Fils de L’homme, qui a inspiré le projet de Tate
Modern de Herzog et de Meuron.
De manière simplifiée,
il semble que l’architecture « futuriste » rentre dans deux catégories
principales. La première comporte les architectures de vogue, les architectures
qui possèdent des cycle de vie d’environ une décennie. Nous pouvons penser
notamment à l’utilisation obsessionnelle de surfaces en bardage bois dans le
contexte urbain. La deuxième comporte les architectures intemporelles, qui
reviennent périodiquement dans la société précédées par le préfixe
« néo ». On remarque que
l’architecture qui reste, l’architecture la plus émotive est celle issu de la
nécessité : la massivité séduisante d’un bunker, l’austérité rigoureuse de
l’architecture industrielle, la poésie des pentes de toiture de l’architecture
alpine.
Il semble donc que le cinéma de la science fiction est
l’évaluation ultime pour les projets des architectes car il est capable de
déterminer si un bâtiment est pérenne au niveau de esthétique architectural.
III. L’Ere du Réenchanetement
Nous pouvons
définir le « ré-enchantement » du monde comme une étape qui ramène
l’imagination de l’homme sur la terre. Celui-ci suit le
« désenchantement », terme inventé par le sociologue Allemand Maw
Weber, mais que nous employons pour décrire le moment que l’on associe à la
période d’errance du cinéma de la science fiction sur d’autres planètes, dans
d’autres systèmes solaires et galaxies (littérature Pulp, Star Trek).
Ce retour à la
Terre est un palier dans la maturation du cinéma de science fiction, qui va lui
permettre de développer un regard critique sur la société contemporaine et son
évolution incertaine. Cependant, ce développement entraîne une perte de
dialogue avec le monde architectural, pour qui le genre est une source d’inspiration
et d’expérimentation essentielle.
1)
Un retour sur la Terre
Pour introduire l’idée centrale de ce rapport d’étude,
nous prenons appui sur Le Voyage dans la
Lune de George Méliès, réalisé en 1902, qui marque le premier film de la
science fiction, et Gravity de Alfonso Cuaron, sortie en octobre de
l’année dernière. Le film de Méliès,
inspiré par le roman De la Terre à la
Lune de Jules Vernes, publié en 1865, raconte l’histoire du professeur
Barbenfouillis qui est envoyé sur la Lune à l’intérieur d’un obus spatial
propulsé par un canon de 300 mètres (fig.
61). Une fois arrivé, il découvre la population extraterrestre qui lui
pourchasse jusqu’à ce qu’il retourne sur la Terre. L’œuvre étonne les foules
par son utilisation d’effet spéciaux et de mise en scène particulière.
Le film de Cuaron
raconte l’histoire de deux astronautes américains qui ont pour mission de
réparer le télescope Hubble. Suite à une multitude d’évènements tragiques,
seul un astronaute parvient à regagner
la Terre (fig. 62).
Le réalisateur
emploie une myriade d’effets spéciaux et a bénéficié d’une collaboration
intense avec le personnel de la NASA pour arriver à un niveau de réalisme que
l’audience et le monde cinématographique vont applaudir.
Dans le
« premier » et le « dernier » des films sorti du genre, le
spectateur peut remarquer un mouvement sinusoïdal entre l’intérieur, qui est la
Terre et l’extérieur, qui est l’espace : ce mouvement renvoie à un
déracinement qui va permettre l’enracinement.
D’après Philippe Ollagnier, professeur de sciences
sociales à l’université Paris 1 : « Par ce retour au territoire, la
science-fiction nous invite à tirer une ultime et paradoxale leçon : le
nécessaire retour au réel. Cependant, il s’agit d’un réel complexe, car humain,
il est fait de désirs et de désillusions. Mêlant sciences expérimentales et
sciences sociales, plus problématisées, s’attachant au côté pratique des
choses, la science-fiction entre aujourd’hui dans un cycle nouveau, plus
spéculatif qu’admiratif, plus pratique qu’utopique, plus limitatif dans le
temps qu’elle ne l’a jamais été ».
Comme nous l’avions mentionné dans l’introduction, la
science fiction moderne débute dans les premières décennies du XXème siècle, et
décrit principalement une expérience d’errance à faible budget. Ainsi, Susan
Sontag a déclaré dans l’Imagination du
Désastre que le « caractère de divertissement d’évasion de la science
fiction, des années 1930 à 1940, est incompatible avec la capacité pour ce type
de cinéma de développer un critique social cohérent efficace et solide ».
Suite à un rejet d’utopisme social, causé par la Guerre
Froide, ou encore de la crise environnementale, la science fiction revient sur
la planète bleue car selon William Gibson :
« La Terre est la planète aliène aujourd’hui».
Les réalisateurs décident de filmer dans des lieux réels du monde avec des
techniques qui varient légèrement afin d’émettre une critique sur le présent.
Pour mieux
expliquer ce « phénomène » de retour, nous allons l’appliquer à la
maison, qui pour nous est un élément structurant fondamental de notre
quotidienne, de nos mouvements. C’est par là que nous allons mieux comprendre
le déracinement qui permet l’enracinement. En 1957, le
sociologue Paul-Henry Chombart de Lauwe va demander à une étudiante parisienne en science politique de
tenir un journal référençant ses déplacements quotidiens. La retranscription de
ses mouvements dessine l’apparence d’une explosion cosmique qui relie
l’appartement de la jeune femme, au centre, aux différents lieux qu’elle
fréquente (fig. 63).
Le philosophe Otto Bollnow
voit la maison comme le « point zéro » de l’homme : elle désigne
son centre de gravité. C’est un lieu à l’intérieur duquel l’homme se réfugie
des dangers extérieurs pour se reposer et rêver. Sans maison, un homme perd une
référence primordiale, qu’il va, tout de même, désespérément essayer de
retrouver dans ces déplacements. De la même façon, nous pouvons suggérer que le cinéma de
science fiction, post années 1970, accepte finalement de revenir pour
s’enraciner sur la Terre, dans l’intérêt de l’industrie cinématographique et
vont susciter l’attention des foules, dans l’intérêt des réalisateurs qui
peuvent maintenant effectuer un réel critique du présent et dans l’intérêt du
spectateur qui va être confronté à une exagération de phénomènes problématiques
de son quotidien, pour être invité à réfléchir sur son rôle dans une société en
changement perpétuel.
2) L’ « éternel
présent » et la perte de réciprocité entre le cinéma anticipatif et
l’architecture
Nous revenons sur l’idée proposée par l’analyste
américain Francis Fukuyama sur« la
fin de l’histoire » vis à vis de la chute de l’Union Soviétique et la fin
des affrontements idéologiques. Il parle essentiellement de la « perte de
l’avenir », notion qui est très bien résumé par Francis Ewald, philosophe
et ancien collègue de Michel Foucault, dans le passage suivant, issu de
l’article L’éternel Présent :
« Cette perte de l'avenir s'exprime éminemment dans la
perte de la croyance au progrès sur laquelle insiste Pierre-André Taguieff.
Les vecteurs d'avenir, la science en particulier, sont devenus ambivalents,
porteurs de menaces autant que de promesses. Zaki Laïdi, de son côté,
constate que la prévalence contemporaine accordée au présent marque une rupture
avec la conception du temps qui avait dominé l'époque précédente, marquée par
les idées de perspective, de projet, d'utopie. Cet éternel présent caractérise
le temps de la mondialisation. Il n'est pas orienté vers une fin. Avec la
mondialisation, le temps se contracte et l'espace se rétracte. Le temps s'est
pour ainsi dire replié sur l’espace indéfini des réseaux. Le jeu aujourd'hui
n'est plus à la révolution, mais à la multiplication des connexions au sein
d'un monde toujours actuel ».
Dans le passage de
l’article d’Ewald, nous retenons trois idées principales : la perte de
croyance dans le progrès et l’ambivalence des avancées technologiques, la
disparition d’idées de perspective et de projets utopiques, et la densification
des réseaux du monde provoqué par le phénomène de la mondialisation.
La première se retrouve clairement dans le cas de Blade Runner où le spectateur voit les
conséquences problématiques liés au développement de l’Intelligence
Artificielle (IA) sur la société humaine : les androïdes de classe Nexus 7
permettent à l’homme d’explorer et conquérir l’espace mais entraîne donc un
dépeuplement de la Terre. Cette même anxiété pour la IA se voit aussi dans le Matrix car Morpheus explique à Néo qu’au
début du XXIème siècle, l’humanité est arrivé à un tel degré de perfection dans
l’avancement des technologies de la robotique autonome, que les créations se
sont tournés contre leur maître, comme l’histoire de la créature du docteur Frankenstein.
La question de l’ambivalence des avancées technologique se retrouve aussi dans
l’œuvre de Cuaron car l’infertilité de l’humanité est supposément liée aux
produits chimiques et aux technologies numériques.
La deuxième idée proposée par Ewald englobe la totalité
les cinq films étudiés car ils sont tous des exemples de la Science Fiction
dystopique. Ceci n’est pas dû à un choix homogène de films, mais plutôt au fait
qu’à partir des années 1970, on ne retrouve plus de films utopiques. Rares sont
les exemples de ce genre spécifique qui ont existés avant cette date : Things to Come, de Cameron Menzies en
1936 et Lost Horizon de Frank Capra
en 1937, sont parmi les seuls et les plus connus. Le genre dystopique est
intrinsèquement lié à la fin des projets utopiques, ou encore à leurs
conséquence ultimement néfaste dans la société.
Nous remarquons que le phénomène de la mondialisation,
qui constitue la troisième idée d’Ewald, se retrouve clairement dans Code 46 et plus abstraitement dans le Matrix.
En effet, dans le monde de Winterbottom, toute la population humaine a
développée une sorte de « Novlangue » (terme inventé par George
Orwell dans 1984) qui est un mélange
de l’anglais, du français, le l’espagnol, du Mandarin. Malgré l’isolation des
villes de l’extérieur désertique, elles maintiennent tous un « effet de
tunnel » les unes avec les autres, un phénomène négatif reconnu de la
mondialisation. Dans le cas de l’œuvre des Wachowski, le film critique la
culture virtuelle contemporaine, et la connexion permanente de communication
que l’on doit maintenir les uns avec les autres. En effet, la façon dont les
humains, encore esclaves des machines demeurent littéralement
« branchés » au monde virtuel du Matrix est un simple parallèle avec
la société « branchée » aux technologies numériques d’aujourd’hui.
La notion
de l’ « éternel présent » que l’on voit dans notre société
actuelle, est une forme de nostalgie vis à vis du passé. Il est certain que les
avancées technologiques que nous observons se font à un rythme qui ne peut plus
être contrôlé, seulement anticipé, et que la notion de temps disparaît
pour être remplacé par les dates de sortie des nouvelles versions de l’I Phone.
Les Lois de Moore, par exemple, sont des lois empiriques qui décrivent
l’évolution de la puissance du matériel informatique. Gordon E. Moore démontre
que la densité de transistors dans les ordinateurs est périodiquement
multipliée par deux chaque année, ce qui revient à dire que la puissance d’un
ordinateur double chaque annuellement. L’évolution
de la technologie fait que la notion de l’ « instant » occupe
une place de plus en plus important dans la société. Rappelons la citation du
personnage de l’écrivain dans le film Stalker
de Andrei Tarkovsky : « Autrefois l'avenir était le prolongement du
présent. Les changements se profilaient loin, derrière l'horizon. A présent,
l'avenir se confond avec le présent ».
La notion de l’ « éternel présent » est
donc étroitement liée à une confusion perpétuelle entre le présent et le futur.
Nous remarquons aujourd’hui, que toutes nos actions sont faite en anticipation
d’un futur lointain, encore plus qu’autrefois. La rapidité du développement
économique et des technologies en est exemple car les entreprises dans ces
domaines sont obligées d’innover et d’anticiper les évolutions du marché pour survivre.
D’après la journaliste britannique Francesca Gavin :
« Le futur est mort. Parti sont les petits hommes verts et l’urbanité obscure
de Blade Runner. Ce paysage culturel futur est obsolète. Les alternatives
contemporaines sont d’autant plus abstraites, car si le futur et le présent
sont tellement près, nous ne pouvons imaginer une alternative. Les futures
fictives n’ont jamais voulue prédire une réalité, mais cherchent plutôt à créer
une alternative esthétique qui parle d’aujourd’hui. Or, le présent est
tellement imprégné par la technologie, la pollution et les machines que les
moulins obscures et sataniques de futures fictives ne semblent pas aussi
distant».
Il est donc intéressant de lier la notion de l’ « éternel
présent » avec l’évolution de l’architecture contemporaine : nous
retrouvons plus en plus d’architectes qui conçoivent avec l’intention de
créer des bâtiment ou des objets qui renvoient à la science fiction. Nous ne
créons plus pour le présent, mais dans l’anticipation du futur, ce qui fait disparaître
la ligne entre les deux. Pour illustrer cette constatation, il suffit de se rappeler
de la Casa da Musica de Rem Koolhas qui est inspiré par le vaisseau terrestre
« Sand Crawler » (fig. 64) qui
apparait le premier volet de Star Wars, ou encore du projet du Centre
d’Exhibition et de Conférence de Ras
al Khaimah en Arabie Saudite du meme architecte qui rappelle l’« Etoile de la Mort » (fig. 65).
Zaha Hadid s’inspire aussi énormément des formes organiques de vaisseaux spatiaux vus dans les films du
genre « Space Opera » pour
créer ses bâtiments.
Nous pouvons supposer que l’architecture de la science
fiction va redescendre sur la Terre pour se concrétiser.
Le cinéma de science fiction populaire, des années 1950-1960,
avait une place importante dans le développent des courants architecturaux. En
effet, malgré l’aspect parfois ridicule des architectures futuristes crée au
moyen de maquettes ou de mises en scènes, les architectes se sont beaucoup
inspirés des structures vues dans les salles de cinéma. D’où la naissance du
style « Googie » au cours des années 1960 (fig. 66), qui va produire des œuvres surtout sur la côte
californienne. Ce style de distingue par des formes dynamiques et
extraterrestres, sur des structures pilotis, qui va en profiter des avancées sur
la structure béton en coque de faible épaisseur. Cette interaction génère des
expositions « futuristes » telles que « The Homes of
Tomorrow » à Chicago, en 1956 (fig.
67).
Il y avait une interaction permanente entre le monde du
cinéma et le monde de l’architecture.
Cependant, le technique de filmer dans les lieux réels
sans imaginer des nouvelles structures brise cette interaction. Nous pouvons
voir celle ci sous forme d’une graphique : plus l’histoire est proche de
notre réalité propre, moins il y a la capacité à inspirer le monde de
l’architecture sur le plan artistique. Les architectes vont donc plutôt être
inspiré sur le plan intellectuel car les visions dystopiques du futur qui
emploient l’architecture réelle, peuvent les apporter un retour sur leur
travail ou sur les courants. Le cinéma de la science fiction, post 1970, nous
invite à réfléchir sur l’état actuel des paysages urbains, de notre manière de
concevoir des nouveaux bâtiments.
La revue « Archigram » qui existe entre 1961 et
1974 peut être considérée comme une publication de projets contre-utopiques,
qui va inconsciemment ramener l’architecture de la science fiction sur Terre. Les
principes de l’incertitude et de la mobilité sont au cœur des problématiques
qu’ils cherchent à développer. Le mouvement britannique s’inspire du projet
utopique de « Fun Palace » de Cedric Price en 1961, qui conçoit une
mégastructure qui accueil un aménagement libre d’éléments programmatique en
dessous.
Le mouvement s’inspire aussi des travaux des futuristes
et utopistes Buckminster Fuller et de Antonio Sant’Elia et génère un grand
intérêt pour les agences contemporains « high-tech » tel que Future
Systems.
3) La présence
constante de l’image de synthèse
Il ne faut pas oublier
que l’étude ne s’intéresse qu’à un aspect du cinéma de la science fiction post
1970, et que les réflexions exprimées ne s’applique pas à la totalité des
œuvres produits. En effet, malgré
l’intérêt de filmer dans de lieux réels, beaucoup de réalisateurs sont
régulièrement séduit par le potentiel de l’image de synthèse pour créer leur
représentations du futur. Il est aussi important de maintenir en perspective le
coût parfois extravagant de l’infographie dans les films aujourd’hui. Ce coût
peut être environ de 2000$ par seconde pour
des effets de complexité moyenne, et peut monter jusqu’à
25000$ par seconde dans le cas de Avatar
de James Cameron.
Le réalisme des images est le résultat d’un temps de travail parfois
hallucinant.
Aujourd’hui, nous
observons un réalisme dans les images produite par l’infographie qui nous
emmène dans le monde de l’hyper-réel : notre conscience n’est parfois plus
capable de voir si ce qu’il voit est du monde réel ou virtuel.
Blade Runner de Ridley Scott et le Matrix des Wachowski sont les seuls films que nous pouvons interroger
au regard de leur utilisation de l’image de synthèse.
Contrairement à ce
que l’on pense, celle ci n’est pas prédominante dans le film. Même au début des
années 1990, les progrès dans la « résolution d’image » ne
permettaient pas la création d’éléments ou de scènes réalistes, de haute
complexité. Le réalisme de l’infographie est surtout lié aux traitements d’ombres
et de textures de surfaces. Comme George Lucas, Ridley Scott va surtout
utiliser la maquette pour créer l’illusion de l’univers de Los Angeles 2019. Le
réalisateur crée un équilibre entre le réalisme de la maquette et les paysages
de fonds créés par logiciel.
Avec l’initiative de
la section artistique, Scott va concevoir un globe sur lequel il va fixer des
maquettes de bâtiments qui incluent les deux tours de l’entreprise
« Tyrell Corporation ». (fig. 68) La rotation très lente
du globe lui permet de filmer le paysage urbain depuis le ciel. L’image de
synthèse est utilisée régulièrement mais sert à accompagner les images
« réelles », notamment pour donner un aspect climatique post
apocalyptique à la ville futuriste qu’il crée, formé de nuages de pollution, et
d’industries pétrochimique qui crachent la fumée dans le ciel. Scott utilise
aussi l’infographie pour créer les tableaux de publicité numériques qui s’illuminent
partout dans la ville et qui renvoient aux « jungles électro-graphiques »
de Tokyo et de Shanghai.
Dans le cas de Matrix, les Wachowski décident
d’utiliser l’infographie pour créer l’apparence du monde réel.
En effet, les
tunnels de services à l’intérieur desquels circulent les aéroglisseurs de la
défense humaine, ainsi que la cité machine et la cité humaine, sont les produits finaux d’un
travail intense d’infographie.
Depuis les vingt
dernières années, Hollywood fait très
peu pour empêcher les hypothèses stéréotypées qui résument le cinéma de la
science fiction à un spectacle d’effets visuels et à une histoire qui ne tient
pas debout.
Nous voyons
progressivement émerger une overdose cinématographique de simulation
superficielle qui est au détriment du réalisme de la mise en scène. Il est
intéressant de noter que la section artistique d’un film doit travailler avec
le paradoxe d’atteindre à la fois le réalisme et la stylisation, qui va « excéder les limites
anthropomorphiques de l’imagination humaine en
essayant de rester compréhensible »
selon Doug Chang, le directeur d’effets visuels de l’Episode I de Star Wars.
Nous observons que
les réalisateurs cherchent à aller au delà des limites actuelles de
l’infographie, ce qui peut parfois provoquer la perte de la puissance de l’intrigue.
Il faut obligatoirement comprendre qu’une bonne histoire est toujours au cœur
d’un bon film. L’utilisation d’une architecture existante ou la création d’environnements
virtuels doit donc plutôt être une préoccupation secondaire du réalisateur.
Nous voyons dans
les films tels que Avatar ou Prometheus, que Cameron et Scott
augmentent exponentiellement la taille des univers virtuels afin de produire un
effet d’étonnement visuel sur le spectateur. D’après l’opinion de certains
réalisateurs de la science fiction contemporaine, un monde de grande taille, implique
nécessairement l’usage de l’image de synthèse. Les mondes de taille plus
réduite appartiennent, apparemment, au passé.
L’exemple de Code 46 nous montre
que l’inverse est toujours possibles : Winterbottom choisit plutôt de
développer un technique intéressant pour ouvrir les limites de son monde
futuriste et offrir une liberté de circulation à ses personnages.
Nous ne critiquons
absolument pas l’usage de l’infographie dans le cinéma de la science fiction contemporain,
nous suggérons tout simplement une réflexion plus approfondie sur sa nécessité
constante ou non. Il est évident que l’infographie n’est pas capable de recréer
une atmosphère authentique d’un bâtiment construit, ce qui entraine des
conséquences sur les performances des acteurs, de leur façon de se déplacer dans
l’espace.
Comme dans la
trilogie de la MATRIX, les frontières entre la réalité et le simulé peuvent éventuellement
se dissoudre à tel point de ne plus reconnaitre l’un ou l’autre. Si un jour, le
cout et le degré de détail le permet, la génération d’images 3D pourrait
entièrement remplacer le fait de filmer le monde réel, comme nous avons partiellement
vu avec le film rétro futuriste « pulp » Capitaine Sky et le monde de demain, de Kerry Conran, sorti en 2003
(fig. 69).
Conclusion
Nous avons pu constater que l’usage maîtrisé de
l’architecture réelle dans le cinéma de la science fiction est essentiellement
propre à la période post années 1970.
Suite à une période de désenchantement politique, sociale
et environnementale, conséquences de la Guerre Froide, de la fin des projets
utopiques et de la crise énergétique et écologique, les réalisateurs ramènent
les intrigues de la science fiction sur la Terre dans l’objectif de révéler et exagérer
les phénomènes négatifs contemporains lié aux avancées technologiques, à
l’extension urbaine et à la division sociale.
Ils exploitent les possibilités de filmer le monde réel
pour attribuer une maturité au genre, autrefois inexistant. D’après Roger Calois : «une image cesse de nous
convaincre ou de faire impression si elle nous déconcerte pas, sans aucun
élément de vérité»[1].
L’ancrage dans le monde réel est indispensable pour un film de science fiction,
si l’œuvre ne veut pas être oublié un mois après sa sortie. Le spectateur doit
être capable de relativiser ce qu’il voit pour faire un retour inconscient sur
son environnement quotidien.
Les techniques employées par les réalisateurs, autour de
l’architecture réelle, se différencient que par des subtilités mais gravitent
tous autour de la notion de l’ « étrange familier ». Ils
accordent des caractéristiques d’hétérotopie et d’hétérochronie à leurs
références urbaines, qui sont pourtant connus par les spectateurs, lorsqu’ils
mettent à distance de la réalité spatiale.
A travers les cinq exemples de film étudiés, nous
remarquons que Alphaville de Godard
et
Code 46 de Winterbottom
sont deux films qui se distinguent par leur technique qui consiste à
sélectionner certains bâtiments particuliers pour ensuite les arranger dans un
univers recomposé. Blade Runner de
Scott et Matrix des frères Wachowski sont les seuls films
choisies qui emploient l’image de synthèse afin de densifier les univers crées.
En plus de cela, les frères Wachowski utilisent l’image de synthèse en
parallèle avec l’image d’une architecture réelle afin de mettre en jeu l’espace
simulé et l’espace réel, thème fondamental dans l’histoire. Finalement, le Fils de l’Homme de Cuaron emploie
quelques exemples bien précis d’architecture Londonienne afin de créer un
« futur issu du passé ».
Dans les cas de Alphaville
et de Matrix, les réalisateurs
cherchent à éviter toute possibilité pour le spectateur d’associer les
métropoles visionnées à leurs réalités urbaines connues. Les paysages urbains
prennent donc une dimension utopique car ils essayent d’échapper à toute
référence spatio-temporel en se positionnent hors du contexte d’un territoire. La
notion de l’ « étrange familier » met à distance l’univers vu à
l’écran et sa réalité de tournage spatial. Cependant, dans les cas de Le Fils de l’Homme et Code 46, l’utilisation de références urbaines
géographiquement localisables, permet aux réalisateurs de travailler avec
une continuité entre les représentations et les réalités actuelles.
De manière générale, les villes à l’écran prennent deux
statuts, selon Philippe Olagnier : les « villes fonds » et les
« villes personnage ».
Les termes utilisés sont suffisamment illustratifs
pour expliciter leurs significations ; en effet, les
« villes fonds » ne sont que des représentations génériques du
phénomène urbain, employé pour littéralement donner un « fond »
à l’intrigue.
Les « villes personnages » participent
activement à l’intrigue. Maintenant que les deux statuts ont été identifiés, le
spectateur peut prendre conscience de leurs entrecroisements constants. En
effet, dans le cas de Matrix, la
ville sert à la fois de représenter le « fait urbain » générique, la
Mégapole neutre, mais aussi à participer dans l’intrigue car la ville
représente l’espace virtuel. Dans le cas de Code
46, les villes de Shanghai et de Jabel Ali (Dubai) servent à critiquer
l’extension urbaine mais aussi à créer un contraste intéressant devant lequel
l’intrigue se déroule. Winterbottom utilise donc la ville plutôt pour sa
dimension « ville fond » mais l’incorpore régulièrement pour faire
évoluer l’intrigue.
D’après Georges Henry Laffont, Docteur en Géographie,
Urbanisme et Aménagement de l’Institut de Brest, « par ce retour au
territoire, la science-fiction nous invite à tirer une ultime et paradoxale
leçon : le nécessaire retour au réel »
Nous pouvons supposer que l’ « ère de
Réenchantement » n’est qu’une phase temporaire dans l’histoire du cinéma,
qui permet de requalifier le rôle de la science fiction dans la société
contemporaine. Nous pouvons très bien imaginer que les projets utopistes
reviendront un jour, et que la distinction entre le présent et le futur se formalisera
de nouveau, pour que le genre voit son rôle s’adapter à un courant futur.
Cependant, il faut tout de même se rappeler de la
présence constante et croissante de l’infographie dans le cinéma contemporaine
de la science fiction. Le réalisme des images conçues par ordinateur possède la
capacité d’augmenter la taille des univers des réalisateurs afin de les donner
une liberté « totale ». Cependant, malgré cette quasi-perfection,
l’image virtuelle ne permet pas encore aujourd’hui d’atteindre l’atmosphère
réelle propre à un bâtiment existant.
Il est faux aujourd’hui de dire que potentiel d’expression
d’un environnement futuriste dans un environnement réel du présent a été
entièrement exploré. Le rôle que joue l’espace réel dans le cinéma anticipatif
est loin d’être aboutie.
B
No comments:
Post a Comment